Depuis aussi longtemps que le patronat existe, ceux qui possèdent les moyens de production prétendent que les travailleurs ne passent pas assez d'heures à la tâche. Pour apporter de l'eau à ce moulin, un argument revient souvent dans la bouche de la bourgeoisie et de ses relais : il y aurait un manque français de motivation, responsable des crises socio-économiques du pays. Debunk.
Loin des poncifs véhiculés par les défenseurs de la croissance et des grandes entreprises, les Français travaillent en réalité plus que la moyenne européenne et sont en outre bien moins payés dans bon nombre de secteurs. Affirmer le contraire est surtout une façon de diviser les Français tout en enrichissant toujours plus les détenteurs du capital. De plus, aller dans cette direction va également totalement à l'encontre du bien être des citoyens, mais aussi de notre intérêt écologique.
Une vieille marotte de la droite et de l'extrême droite
Le sujet revient très régulièrement sur la table par le biais de la droite de l'échiquier politique ; si la France a tant de difficultés budgétaires, ce serait parce que les Français ne produisent pas assez par leur travail. En octobre dernier, c'est l'ex-ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin (au parcours plus que sinueux et d'ailleurs lui-même accusé d'emploi fictif), qui a remis une pièce dans la machine, expliquant qu'il fallait en finir avec les 35 heures et que l'on devait envisager de supprimer un autre jour férié.
Et il est loin d'être le premier à tenir de tels raisonnements. Les 35 heures ont continuellement été combattues par la droite et l'extrême droite depuis leur installation sous la conduite de Lionel Jospin. Et même si elles sont officiellement toujours en place, elles ont largement été détricotées par plusieurs dispositifs, successivement constitués par les gouvernements Sarkozy, Hollande et Macron. Il est d'ailleurs intéressant de noter que Hollande perçoit après prélèvement «10 973 euros» de retraite par mois.
Macron et Le Pen, d'accord sur l'essentiel
Sarkosy, président de 2007 à 2012 (déjà responsable de la fin de la retraite à 60 ans) revient constamment à la charge, appuyant Gérald Darmanin le mois dernier sur l'idée que les Français ne travailleraient pas assez et qu'il faudrait en finir avec les 35 heures.
Un point commun avec Marine Le Pen qui, en 2017, LES 35 HEURES SELON MARINE LE PEN (MARS 2017) que son parti avait « toujours été opposé aux 35 heures ». Son homologue autrichien d'extrême droite, lors de son passage au pouvoir, avait même autorisé le temps d'activité hebdomadaire jusqu'à 60 heures dans son pays.
Enfin, du côté d'Emmanuel Macron, le son de cloche est le même puisque l'actuel président a confirmé à plusieurs reprises son souhait de voir les Français consacrer plus d'heures à la tâche, assurant qu'ils « travaillaient moins que leurs voisins ». Une volonté qu'il n'a d'ailleurs pas hésité à concrétiser dans la loi par le biais de la réforme de retraites à 64 ans.
La France travaille plus et mieux que la moyenne européenne
Toutefois, dans les faits, les salariés français sont à la tâche largement aussi longtemps que ceux de leurs voisins européens. Ainsi, si la moyenne continentale s'élevait en 2019 à 37,1 heures par semaine, celle de l'hexagone grimpe à 37,3. C'est plus que certaines autres pays d'Europe, comme l'Italie (37,2), le Royaume-Uni (36,5) et même l'Allemagne (34,9).
La France dispose également d'un très bon indice de productivité puisqu'elle se situe parmi les meilleurs élèves du continent, devant de nombreux pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne, ou le Portugal.
Travailler plus pour rémunérer les actionnaires
Au-delà de ces absurdes comparaisons, cette volonté de faire travailler plus répond en réalité à une seule intention : celle de faire la fortune de ceux qui ne produisent rien.
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Autrement dit, les gouvernements successifs néolibéraux demandent à la population de se tuer à la tâche plus durement pour concéder à une minorité possédante d'accroître chaque jour un peu plus son capital.
Celui-ci progresse d'une part parce que la valeur créée par les salariés ne cesse d'augmenter, mais aussi, d'autre part, parce que passer plus de temps à l'oeuvre permet d'éviter de taxer davantage les personnes les mieux loties. Les chiffres parlent d'ailleurs d'eux-mêmes puisque la fortune des 500 familles les plus aisées de France a récemment explosé tous les records.
Au début des années 80, la part de la richesse produite dans le pays revenant aux travailleurs était de 75 % ; elle s'est à l'heure actuelle effondrée à 65 %. Ainsi à l'instar du jour du dépassement écologique, et de celui de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, il a pu être calculé une date théorique à partir de laquelle les employés triment uniquement pour rémunérer les actionnaires ; en 2024, ce jour arrivait le 4 octobre.
Diviser pour mieux régner
Évidemment, demander aux Français plus de temps à la tâche est loin d'être une sollicitation populaire. En 2016, un sondage démontrait d'ailleurs que deux tiers des interrogés s'opposaient à la fin des 35 heures. D'autres enquêtes avaient également affiché en 2023 une obstruction massive des citoyens à la réforme des retraites et même un souhait de partir à 60 ans.
Pour tenter de faire passer cette idée qu'il faudrait travailler plus, les libéraux s'appuient donc sur des poncifs pointant du doigt les plus pauvres et une partie de la population. Désignant tantôt les chômeurs, les « assistés », ou les immigrés, comme les responsables de la déliquescence de la nation, ils s'attellent ainsi à diviser les classes populaires entre elles afin de détourner leur attention des 1 % de privilégiés qui accaparent l'essentiel des richesses du pays.
Une nécessité planétaire
Et pourtant bien au-delà du sujet économique, la question du temps passé en emploi mériterait au contraire d'être posée sous l'angle du sens de l'Histoire et du progrès, c'est-à-dire vers sa réduction.
En effet, à l'heure où le chômage gangrène nos sociétés, il est totalement absurde de vouloir augmenter la durée de travail individuel ; il devrait à l'inverse être diminué pour permettre de répartir les postes entre tous. Une situation qui demanderait cependant un plus grand partage du fruit des richesses produites, ce qui est sans doute ce qui crée le plus de frayeurs à la minorité possédante.
En outre, il faudrait aussi sans aucun doute mettre sur la table la question de nos réels besoins et de notre production. De ce point de vue, il est absolument indiscutable que l'humanité fabrique beaucoup trop de choses par rapport à ses nécessités effectives.
Un constat qui va de pair avec une autre évidence ; à vouloir croître toujours plus, une minorité de la planète consomme bien plus de ressources que ce que la terre ne peut lui en fournir. Et si les plus aisés de la planète refusent encore longtemps d'admettre ces données, leur avidité finira sans aucun doute par se heurter à un mur infranchissable : celui de la réalité et des limites de notre monde.
- Simon Verdière